Nous les avions tous sollicités
par courriel. 577 adresses électroniques à collecter une par une, un travail
long et fastidieux, il fallait vraiment le vouloir, mais nous le voulions
vraiment. Puis l’envoi d’un même mail à tous. Certains ont répondu, d’autres
nous ont ignorés. Peu de réponses positives, et même pour ceux de nos élus qui
se disaient favorables au référendum d’initiative populaire, le passage des
paroles aux actes semblait problématique.
Il fallait en remettre une
couche, et se tenir à l’affût de tout événement qui pouvait servir notre cause.
C’est ainsi que fin janvier, je suis tombé sur un article du blog de Nicolas
Dupont-Aignan, où il félicitait David Cameron de sa décision d’organiser dans
son pays un référendum sur l’Europe. Il y écrivait notamment
"Nous devons saisir l'opportunité pour exiger un référendum dans tous les
pays d'Europe d'ici 2017. Un référendum (...) pour dénoncer les traités et
construire une Europe des Nations et des projets."
J’ai aussitôt saisi mon clavier
(le 26 janvier) pour expliquer au député souverainiste que si nous disposions
du référendum d’initiative citoyenne, les Français pourraient eux-mêmes
provoquer des référendums sur des questions de leur choix, sans dépendre du bon
vouloir d’un exécutif UMP ou PS qui sont européistes l’un et l’autre. (Et quand
nous nous adressions à des députés de gauche, nous mettions en avant la
possibilité de trancher, par référendum, des questions telles que la réforme
des retraites ou l’Accord National Interprofessionnel, si défavorable aux
salariés.)
Sa réponse (du 30 janvier) m’a
singulièrement irrité :
« Cher
Monsieur,
Même
si en l’occurrence, la stratégie de David Cameron n’est inspirée que
d’intentions politiciennes, je pense en effet que son initiative vient à point
nommé rappeler à nos gouvernants qu’ils tiennent leur légitimité du peuple et
qu’ils doivent le consulter sur les grands enjeux politiques ou sociétaux.
Encore,
faudrait-il que, bien sûr, ils respectent le verdict des urnes ! le référendum
du 29 mai 2005 sur le projet de constitution européenne est l’exemple-type de
la trahison du peuple ; malgré les 59 % de suffrages [un peu moins de 55 % en
réalité] qui se sont portés sur le non, le traité de Lisbonne a été adopté 3
ans plus tard par le Parlement…
C’est
la raison pour laquelle, comme vous le savez, je milite fermement pour
l’organisation d’un référendum sur l’euro (j’avais lancé une pétition à ce
sujet, voici quelques mois) et me réjouirais que, grâce à David Cameron, la
citadelle Bruxelloise soit enfin ébranlée.
Concernant le référendum d’initiative citoyenne,
je vous rappelle qu’il n’est pas applicable tant que les gouvernements
successifs diffèrent (délibérément) la publication des décrets d’application du
texte.
Veuillez agréer, Cher Monsieur, l’expression de mes
sentiments distingués. »
J’avais
le désagréable sentiment que lui aussi se moquait de moi : oser appeler
« référendum d’initiative citoyenne » cette lamentable réforme de
l’article 11 voulue par Nicolas Sarkozy en 2008, c’était prendre les gens pour
des ignares, de vrais analphabètes constitutionnels, car il suffisait de lire
le texte pour comprendre que l’initiative n’appartenait pas au peuple mais à 20
% des membres du Parlement, et qu’il suffisait que le parlement examine la
proposition de loi (sans même la voter !) pour que le recours au
référendum soit définitivement écarté (alors que la procédure exigeait le
soutien de 10 % des électeurs inscrits, soit environ 4,6 millions de signatures) !
J’ai
donc poussé mon « coup de gueule » sur Facebook, ce qui a fait réagir
André-Jacques Holbecq (proche de NDA et auteur notamment de « La dette
publique, une affaire rentable » et du « manifeste pour que l’argent
serve au lieu d’asservir »). André-Jacques m’a proposé de lui réécrire
pour dissiper ce qu’il considérait comme un « malentendu », et a lui-même repris contact avec le député pour appuyer mes
arguments.
C’est
ainsi que j’ai obtenu le 5 février la mise au point suivante :
« Pour
faire suite à notre échange du 30 janvier, je vous confirme être favorable à
l’introduction du référendum d’initiative populaire dans notre constitution, en
particulier dès lors qu’il s’agit d’adopter des traités qui portent atteinte à
la souveraineté de notre pays.
Ce serait le
seul moyen de contourner l’hostilité de nos gouvernants - de droite, comme de
gauche - à utiliser l’article 11 de la Constitution, voulu par le Général de
Gaulle, pour associer le peuple aux grandes décisions qui concernent son avenir.
Ce serait aussi et surtout le moyen de soustraire le pouvoir aux
technocrates.
Veuillez
agréer, cher Monsieur, l’expression de mes sentiments distingués. »
Mais c’est
Yvan Bachaud, infatigable promoteur du référendum d’initiative citoyenne depuis
plus de 20 ans, qui a enfoncé le clou, en prenant contact avec chaque député,
chaque responsable de parti ayant (ou ayant eu) le RIC à son programme, et avec
chaque président de groupe parlementaire, et demandant très précisément à
chacun de faire ce qui est en son pouvoir pour réaliser cette promesse,
c’est-à-dire déposer une proposition de loi en ce sens. Nicolas Dupont-Aignan
fut donc le premier à passer de la parole aux actes.
Il est vrai
que le texte de sa proposition de loi ne donne pas entièrement satisfaction,
mais il a deux qualités qu’il faut souligner :
1)
Il
instaurerait (s’il était voté) un référendum d’initiative EXCLUSIVEMENT
citoyenne, sans aucune intervention du Parlement.
2)
Il est à la
bonne place, à l’article 3 de la Constitution (« De la souveraineté »)
et non à l’article 11 (« Du président de la République ») comme la
réforme bancale de juillet 2008 (et dont le Parlement est actuellement – 5 ans
après ! – en train de voter la loi organique censée permettre son application…).
Inscrit à cet emplacement, le RIC peut porter sur tous les domaines, alors qu’à
l’article 11, son champ d’application est restreint.
Cependant, il
comporte aussi des points faibles :
1)
Par
précaution, on aurait pu préciser « … en toutes matières, y compris
constitutionnelle et de ratification des traités » pour lever toute
ambiguïté (et éviter que la loi organique ne puisse exclure ces
domaines-clés !). Cela va sans dire, mais ça va encore mieux en le disant.
2)
Il précise
un seuil de signatures très élevé : 10 % des inscrits (4,6 millions
d’électeurs), c’est plus qu’il n’en faut pour les « I.C.E. »
(Initiatives Citoyennes Européennes, 1 million de signatures mais qui ne
débouchent pas – il est vrai – sur un référendum décisionnel) ou pour
les référendums suisses (1 à 2 % des inscrits). De plus, ce seuil faisant
partie des modalités d’application du RIC, il aurait pu être fixé par la
loi organique. Dans l’article 3, il vaut mieux s’en tenir au seul principe du
RIC.
3)
Il
maintient la possibilité pour le président de la République d’être à
l’initiative du référendum. Cela se comprend aisément en référence à l’héritage
gaullien, (un héritage qui remonte en fait jusqu’aux plébiscites du Second
Empire) mais apparaît aujourd’hui comme totalement anachronique : à
l’époque où De Gaulle l’a institué, en 1958, l’autorité du Président était encore
fragile et il pouvait être confronté à un Parlement hostile (De Gaulle
dénonçait d'ailleurs le « système des partis »…) d’où l’utilité de pouvoir faire
appel au peuple par-dessus le Parlement. Or depuis 1962, le Président est élu
au suffrage universel direct, ce qui accroît sa légitimité, et avec le
quinquennat et l’inversion du calendrier électoral décidés en 2000 (les
législatives ayant lieu après les présidentielles), il est assuré
d’avoir une majorité à l’Assemblée. Il dispose donc de tous les instruments
pour gouverner, et n’a plus besoin du référendum ! De plus, maintenir ce
droit présidentiel entretien la confusion entre les référendums-plébiscites (à
l’initiative du Président) et ceux qui sont à l’initiative des citoyens :
on prête ainsi le flanc à la critique des adversaires de la démocratie directe,
clamant que lorsque le peuple est consulté par référendum, il répond davantage
à celui qui pose la question qu’à la question elle-même. En Suisse,
modèle du genre, la Constitution interdit à l’exécutif de recourir au
référendum.
4)
Le
principal défaut de la proposition de loi n°1248 de Nicolas Dupont-Aignan est
qu’elle émane de Nicolas Dupont-Aignan, c’est-à-dire d’un député qui est le
seul représentant de son parti, qui ne dispose pas d’un groupe parlementaire et
qui n’a donc pas la possibilité de mettre sa proposition à l’ordre du jour de
l’Assemblée. Elle est renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, et
son parcours dépendra de la mobilisation des citoyens qui se fera (ou pas…)
autour de ce projet de référendum d’initiative citoyenne souhaité par une
écrasante majorité de Français (82 à 88 % selon plusieurs études) mais qui
devront – eux aussi – passer des paroles aux actes.
Nous avons donc
gagné une bataille, mais nous n’avons pas encore gagné la guerre ! Cette
proposition de loi constitue indubitablement un premier pas dans la bonne
direction, mais il faudra en faire d’autres si nous voulons parvenir au but et
faire vraiment de notre peuple le souverain
comme le prévoit l’article 3 de notre Constitution…
P.S. L’association Article 3 dont
le site sera bientôt en ligne à cette adresse : www.article3.fr préconise la réécriture de
l’article 3 de la Constitution de 1958 en ces termes : (modifications en
majuscules et entre crochets)
« La souveraineté
nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la
voie du référendum [D’INITIATIVE CITOYENNE, EN TOUTES MATIÈRES, Y COMPRIS
CONSTITUTIONNELLE ET DE RATIFICATION DES TRAITES. CET ARTICLE NE PEUT ÊTRE
MODIFIE QUE PAR VOIE RÉFÉRENDAIRE]. »
Sa mise en œuvre nécessitera un
toilettage de quelques autres articles de la Constitution pour prendre en
compte la modification de l’article 3, et notamment la suppression de l’article
11. Les modalités d’application du référendum d’initiative citoyenne devront
être précisées dans une loi organique.